Alliaria petiolata

Nous avons vu que l’alliaire officinale était devenue une plante invasive dans les forêts américaines avec des effets négatifs sur la végétation et même la faune. Parmi les explications à sa capacité d’envahir les sous-bois aux U.S.A. et d’éliminer en partie les espèces indigènes, son pouvoir allélopathique a été démontré : l’alliaire libère dans le sol des composés chimiques toxiques capables d’inhiber ou d’éliminer les champignons du sol associés avec nombre de plantes dans des relations symbiotiques de type mycorhizes.

Mais pourquoi cette capacité chimique ne cause t’elle pas de problèmes dans son aire d’origine en Europe où l’alliaire se comporte comme une plante forestière peu compétitrice alors qu’aux U.S.A. cette même action aurait des effets aussi puissants et négatifs ? Des chercheurs américains ont donc émis l’hypothèse dite des armes chimiques inédites (Novel Weapons hypothesis) : les composés chimiques inédits libérés dans le sol dans ce nouvel environnement (les forêts américaines) auraient des effets particulièrement négatifs du fait de la « naïveté » (la non habitude) des espèces de champignons du sol impliqués dans des relations de type mycorhizes, ce qui indirectement retentit sur les plantes dépendantes de ces champignons pour leur croissance et leur développement. Ces armes chimiques nouvelles outre-Atlantique fournissent à l’alliaire un avantage compétitif majeur qui expliquerait son expansion et ses effets.

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Si l’alliaire en France peut former des peuplements étendus dans les bois humides, elle n’en est pas pour autant invasive. ©zoom-nature. GG

Hypothèse testée sur le terrain

En 2007, une équipe mixte (U.S.A./Canada et Europe) a publié les résultats d’une étude menée à partir d’échantillons de sol récoltés aux U.S.A dans des forêts envahies ou pas par l’alliaire et en Europe (Allemagne et Espagne) dans des sous-bois à proximité de colonies d’alliaire. En laboratoire, des cultures d’alliaire ont été conduites ou pas sur des fractions de ces échantillons. Ensuite, une fois l’alliaire éliminée, des cultures de plantes locales (10 à 14 espèces selon les stations de prélèvement) furent menées avec des analyses de la communauté microbienne et fongique du sol (biomasse, diversité), des mesures de croissance et de germination des espèces de plantes testées. De plus, des extraits chimiques d’alliaire furent aussi appliqués sur des fractions de sols.

Les champignons du sol étudiés ici sont ceux responsables de mycorhizes internes dits arbusculaires à cause des vésicules en arbres que génèrent leurs filaments dans les cellules des racines des plantes hôtes (lien vers article).

Hypothèse validée

Sur les sols ayant été cultivés avec de l’alliaire, on trouve la même quantité de spores de champignons du sol des deux côtés de l’Atlantique mais, par contre, la viabilité et le pouvoir infectieux (la capacité à infecter de nouvelles racines et de créer des mycorhizes) se trouvent nettement réduits aux U.S.A. : respectivement une baisse de – 20 à 70% pour la première et de – 16 à – 70% pour le second. Sur les sols européens, on n’observe aucun effet significatif sur ces deux paramètres de vie des spores.

Une forte baisse de la diversité spécifique des communautés microbiennes et de champignons est de plus notée dans les sols américains ayant hébergé l’alliaire.

L’émergence et la croissance des jeunes plantules (espèces herbacées ou arbres) se trouve nettement affectée par la présence de l’alliaire aux U.S.A. : sur 23 espèces américaines testées, 13 d’entre elles voient leur émergence de plantules diminuer nettement et 1 connaît une augmentation ; sur 14 espèces européennes testées, une seule est inhibée à ce stade et deux autres semblent stimulées.

La biomasse finale de plantes mycorhizées (donc dépendantes de cette relation pour leur croissance) produite sur ces sols se voit réduite d’environ 60% sur les sols américains préalablement cultivés avec de l’alliaire ; l’effet est significatif sur les quatre sites forestiers testés dans l’étude. Côté européen, on ne note aucun effet sur la production de biomasse végétale en Allemagne mais en Espagne il y a même une augmentation ! Si, par ailleurs, on cultive dans les mêmes conditions des plantes américaines non mycorhizées (qui vivent habituellement sans cette association), l’effet sur la biomasse devient nul, ce qui confirme bien l’effet indirect via les mycorhizes.

Enfin, si on compare l’effet sur une espèce présente des deux côtés de l’Atlantique, par exemple l’achillée millefeuille (Achillea millefolium), la production de biomasse finale de cette plante sur des sols américains préalablement cultivés avec de l’alliaire diminue de 56 à 100%. Côté européen, il y a une « petite surprise » : sur les sols allemands, la biomasse d’achillée ne change pas mais sur les sols espagnols, la biomasse diminue nettement mais malgré tout dans des proportions moindres que sur les sols américains.

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Comme une majorité de plantes herbacées, l’achillée millefeuille a des organes souterrains mycrohizés, i.e. associés à des champignons du sol. ©zoom-nature. GG

Une hypothèse validée …. qui n’explique pas tout

Donc, on peut conclure que dans l’aire d’origine de l’alliaire, une longue coévolution a conduit à une certaine résistance des espèces de champignons du sol impliqués dans la formation de mycorhizes avec les plantes indigènes : un certain équilibre a pu s’installer ; on note que certains résultats montrant une influence négative avec les sols européens indiquent que peut-être d’autres effets seraient à envisager comme une transformation chimique du sol qui modifierait indirectement le pH du sol ? Par contre, en Amérique du nord, ces mêmes armes chimiques tolérées par les champignons européens deviennent des armes inédites pour des espèces différentes, non adaptées et de ce fait très impactées : l’inhibition des champignons mycorhiziens retentit indirectement sur toutes les plantes qui en dépendent (c’est en fait la majorité des espèces). L’étude n’a pas permis d’identifier parmi les substances libérées dans les exsudats des racines de l’alliaire lesquelles agissaient réellement sur les communautés du sol.

Tout ceci ne signifie pas que le pouvoir conquérant de l’allaire ne dépend que de ces armes chimiques inédites : d’autres facteurs favorisants existent. Les chercheurs soulèvent par ailleurs une autre hypothèse impliquant les vers de terre européens introduits dans les forêts américaines et eux aussi invasifs et qui ont un effet important sur la structure des sols outre-Atlantique : apparemment, il y aurait une relation entre les zones envahies par l’alliaire et celles colonisées par les vers européens ; une autre piste de recherche à creuser !

Les armes chimiques de l’alliaire sont-elles vraiment inédites pour la flore américaine ?

Une étude complémentaire ultérieure a exploré cette question. Les chercheurs ont comparé la composition chimique des feuilles de l’alliaire avec celle de plusieurs espèces de la même famille (les Brassicacées) soit très communes, soit très proches: une arabette et trois cardamines. Ils constatent que les composés cyanurés, les glucosinolates et les flavonoïdes produits par l’alliaire ne se retrouvent pas dans ces espèces américaines. Par contre, l’activité enzymatique anti-trypsine présente dans l’alliaire se retrouve en beaucoup plus élevée dans l’arabette et en intermédiaire dans les cardamines. Ce profil phytochimique bien différent de l’alliaire valide donc encore plus l’hypothèse des armes chimiques inédites.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Novel weapons : invasive plant supresses fungal mutualists in america but not in its native Europe: R. M. CALLAWAY,D. CIPOLLINI, K. BARTO,G. C. THELEN,S. G. HALLETT,D. PRATI,K. STINSON, and J.KLIRONOMOS. Ecology, 2007.
  2. How novel are the chemical weapons of garlic mustard in North American forest understories?. E. Kathryn Barto • Jeff R. Powell • Don Cipollini. Biol Invasions (2010) 12:3465–3471

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'alliaire officinale
Page(s) : 238-239 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez l'alliaire officinale
Page(s) : 94 Le guide de la nature en ville