Buddleja davidii

Le Buddleia de David, arbuste ornemental très cutivé, agit comme un aimant sur diverses espèces de papillons diurnes d’où son surnom populaire d’arbre aux papillons (butterfly bush des anglo-saxons). En dehors des papillons de jour, ce buddleia est beaucoup visité aussi par des papillons de nuit, des guêpes, des mouches (syrphes), des coléoptères et aux Amériques des colibris. Son attractivité est à relier à son système de reproduction qui impose une fécondation croisée pour la production de graines viables.

Cette association populaire avec les papillons, relayée comme argument de commercialisation, est-elle réelle ou surfaite ? Une étude récente a exploré cette question avec une espèce test, la vanesse paon-du-jour, l’espèce de papillon de jour la plus observée en butinage sur cet arbuste. Nous commencerons par parcourir rapidement les relations fleurs/papillons avant d’étudier en détail le cas du Buddleia.

Visuel versus olfactif

La plupart des pollinisateurs trouvent les ressources florales via des signaux olfactifs et visuels d’importance respective variable selon les systèmes de pollinisation. Ainsi les fleurs pollinisées de nuit attirent les pollinisateurs le plus souvent via des signaux olfactifs même si des signaux visuels peuvent compléter cette attraction en facilitant par exemple l’atterrissage : voir l’exemple des sphinx et des onagres. Chez les plantes pollinisées de jour, des signaux olfactifs interviennent pour quelques espèces pollinisées par des abeilles spécialisées dans la collecte de secrétions huileuses.  Pour la majorité d’entre elles, cependant, les signaux visuels prédominent. Au sein d’un système donné de pollinisation, l’importance relative des deux types de signaux peut dépendre de l’expérience acquise par les visiteurs individuels.

Si les abeilles et alliés et les mouches sont les pollinisateurs les plus importants en termes de nombre d’espèces de plantes pollinisées, les papillons sont de loin le groupe avec le plus d’espèces pollinisatrices. Ceci résulte notamment de l’importance considérable des papillons nocturnes ; cependant, les papillons de jour à eux seuls ont plus d’espèces pollinisatrices que les hyménoptères.

Le plus souvent, les papillons de jour utilisent de manière prépondérante les signaux visuels par rapport aux signaux olfactifs pour trouver les plantes ressources. Mais, on dispose de données qui montrent que des parfums floraux naturels ou synthétiques induisent de fortes réponses comportementales chez des papillons de jour. L’ajout de parfums synthétiques floraux accentue l’attractivité des signaux visuels.

Préférences des papillons de jour

La constitution de bases de données listant pour chaque espèce de papillon de jour les fleurs les plus visitées permet de dégager des tendances dans leurs choix et de définir un portrait-robot des « fleurs à papillons de jour ». Cet ensemble de traits communs constitue ce qu’on appelle un syndrome de pollinisation des papillons de jour (Rhopalocères), baptisé psychophilie. Il concerne l’ensemble des papillons de jour mais aussi quelques papillons de nuit actifs de jour comme les zygènes. Pour les papillons de nuit réellement nocturnes, on a défini deux autres syndromes : un concernant les grands sphinx nocturnes (Sphingophilie : voir le cas de l’onagre) et un pour les noctuelles, Géomètres et Pyrales (Phalaénophilie).

Les papillons de jour doivent pouvoir atterrir et s’installer pour butiner : de ce fait, ils préfèrent les fleurs plutôt grandes et isolées offrant une corolle en plateforme ou, plus souvent, des inflorescences aplaties. Celles avec des de nombreuses fleurs tubulaires verticales côte à côte et fournissant une aire d’atterrissage pratique sont très prisées. Du fait de la prise au vent liée à leurs ailes relativement grandes, ils choisissent des fleurs regroupées et serrées et évitent les fleurs solitaires sauf si elles offrent une récompense florale copieuse. La structure de leur trompe les limite aux fleurs avec un nectar assez dilué.

Voici la liste des huit traits dominants des « fleurs à papillons de jour » définissant ce syndrome :

  • fleurs serrées en inflorescence plate ou doucement courbée ; chaque fleur avec une longue corolle (ou avec une corolle moyenne s’il y a un éperon à nectar) qui peut être sondée avec la trompe déroulée
  • étamines et style qui tendent à dépasser de l’ouverture : ainsi, le pollen peut adhérer à la tête du visiteur
  • pétales souvent de couleur intense et attractive : rose ou bleu foncé, crème, jaune, orange ou rouge et souvent avec le cœur jaune
  • pétales sans guides à nectar ou avec un seul motif
  • généralement une odeur douce mais sucrée
  • floraison diurne
  • offre en nectar en quantité moyenne ; nectar dilué que la trompe peut aspirer, et qui suffit pour couvrir les dépenses énergétiques liées au vol, peu importantes relativement
  • une proportion d’acides aminés plus élevée dans le nectar que chez la plupart des fleurs (permettrait de soutenir la plus longue longévité des grands papillons tropicaux ?).

Signaux visuels floraux du Buddleia

En culture ornementale et sous forme naturalisée, le Buddleia de David se présente sous une multitude de formes colorées allant du blanc au jaune et rouge. En effet, cette espèce est connue pour sa capacité à développer diverses formes colorées (polymorphisme de couleur). Même à l’état sauvage en Chine, on retrouve cette diversité : si les formes lilas et pourpres dominent, on rencontre en moyenne 3% de morphes blancs par exemple.

Chaque fleur se compose de quatre pétales soudés sur les ¾ de leur longueur en un tube corollaire dressé de 5 à 8mm. Mais, comme pour la couleur, on observe un fort polymorphisme de morphologie des corolles au niveau individuel : certains pieds portent essentiellement des fleurs à quatre pétales mais on trouve des variants avec cinq et jusqu’à neuf pétales par fleur ! Ces derniers se situent en général au milieu de la longue inflorescence.

Le stigmate porté sur un style au sommet de l’ovaire situé tout au fond du tube arrive juste en dessous du niveau des anthères. Le tube porte des poils fins, plus denses vers le sommet. Il est enchâssé dans un calice qu’il dépasse de 3 à 4 fois. Chaque fleur est portée sur un très court pédicelle parfois absent.

La corolle est légèrement irrégulière (zygomorphique) et renferme quatre étamines aux filaments soudés à la paroi du tube ; les anthères au sommet des filets ne sortent pas du tube, se trouvant en retrait de l’ouverture. Le tube est généralement pourpre tandis que la gorge est orange. Cette tache colorée intense et contrastée résulte de la présence d’un pigment du groupe des diterpènes, un diester qui donne la même couleur que le colorant jaune alimentaire. A noter qu’on a retrouvé ce pigment dans le nectar des fleurs : comme il peut réfléchir les UV, ce serait un signal visuel pour les papillons et hyménoptères capables de détecter les UV

Ce qui rend la floraison du Buddleia si attractive (aux yeux des Humains !) ce sont ses inflorescences remarquables de longueur (jusqu’à 30cm) et de densité de fleurs. En général, une tige donnée possède une très grande panicule terminale et deux latérales, de chaque côté, plus petites et fleurissant un peu plus tard. Les fleurs sont dressées verticalement ce qui facilite l’atterrissage des pollinisateurs. Leur position terminale au bout des longs rameaux qui tendent à s’étaler dans toutes les directions offre un spectacle de feu d’artifice d’inflorescences.

Dès l’âge de deux ans, parfois même dès la première année (période juvénile très courte), le Buddleia peut fleurir. Dans chaque panicule, la floraison progresse de la base vers la pointe. Elle a lieu en été à partir de la fin du printemps jusqu’au milieu de l’automne sous nos climats ; pour un arbuste donné, elle dure plusieurs semaines : chaque fleur individuelle dure de 1 à 3 jours et une panicule reste en fleur sur une partie de sa longueur pendant plus de deux semaines. On note une forte asynchronie dans la floraison entre individus et selon les localisations.

Signaux olfactifs

Parmi les composés abondants, on a des terpénoïdes (43 à 88% en abondance relative selon les variétés) : spécialement le terpénoïde 4-oxoisophorone et ses dérivés, et le sesquiterpène (E,E)-α-farnésène et un composé aromatique le 2-phénylethanol. Le premier n’est pas courant chez les plantes à fleurs : d’origine caroténoïde, c’est un attractant bien connu pour les papillons de nuit ; dans d’autres études, il a été identifié comme le composé le plus abondant. A noter que ce composé est aussi fabriqué et émis par des papillons de jour comme les monarques.

La plupart des composés émis par ces fleurs induisent des réponses physiologiques dans les antennes (organes de l’olfaction : chronique) des vanesses et des piérides : donc, ces papillons pourraient utiliser ces composés comme repères pour localiser les fleurs. En fait, certains des composés trouvés chez le buddleia sont aussi émis par d’autres plantes où ils sont connus pour déclencher des comportements d’approche et de récolte : c’est le cas du 2-phényléthanol et du phénylacétaldehyde.

Certaines de ces composés odorants, dont les terpènes, peuvent aussi servir de répulsifs vis-à-vis des voleurs de nectar et autres visiteurs indésirables. Ils peuvent tout autant déclencher des réponses physiologiques au niveau des antennes.

Un cas d’étude : le paon-de-jour

Une équipe de chercheurs a récemment (2022) choisi comme modèle expérimental un papillon de jour, la vanesse paon-du-jour, un des visiteurs les plus réguliers en Europe. Le but de leur étude était de comprendre l’importance relative des signaux visuels et olfactifs dans l’attraction de ces papillons de jour. Ils ont notamment comparé les réactions d’individus dits naïfs, c’est-à-dire fraîchement éclos et n’ayant encore jamais rencontré de buddleia, avec des individus expérimentés s’étant déjà nourri sur cette plante.

Globalement, ces deux types d’individus répondent aux signaux visuels et olfactifs déployés par le Buddleia mais les olfactifs sont plus attractifs que les visuels. 

Les signaux olfactifs ont une double fonction : comme les visuels, ils attirent les individus naïfs de loin mais en plus ils sont nécessaires pour déclencher chez le papillon posé le comportement de butinage. Les dérivés de l’oxoisophorone ont été identifiés comme les substances qui déclenchent le butinage.

Par rapport aux autres exemples déjà connus, l’ampleur de l’importance relative des signaux olfactifs étonne : ici, ils sont trois fois plus attractifs que les signaux visuels. Une étude antérieure sur la piéride du chou butinant la moutarde noire (fleurs jaunes unies) avait trouvé une attractivité dix fois supérieure des signaux visuels sur les olfactifs. Mais le « parfum » du buddleia renferme bien plus de composants odorants que celui de la moutarde noire. Ceci suggère des variations fortes dans les images de recherche utilisées par les papillons selon les espèces et notamment la part respective des signaux olfactifs et visuels. On connaît des faits du même ordre entre hyménoptères butineurs et leurs plantes hôtes.

Ici, l’expérience du butinage n’influe pas sur l’importance relative des deux types de signaux ; pourtant, on sait que les papillons, comme les hyménoptères, sont capables d’apprendre et de mémoriser de tels signaux.

Suprématie odorante

Le comportement du butinage est déclenché ici chez les individus naïfs seulement par des signaux olfactifs émanant du Buddleia. Ce résultat peut surprendre quand on sait que les autres vanesses (Nymphalidés) peuvent déployer leur trompe sur des fleurs artificielles colorées mais sans odeur, comme pour se nourrir. Ceci pourrait résulter du fait que les vanesses ont des préférences pour des couleurs autres que le pourpre : bleu, jaune, orange et rouge en général ou jaune et bleu seulement chez la vanesse paon-du-jour.

Le buddleia est souvent aussi visité par des papillons de la famille des Papilionidés : machaons et flambés. Eux par contre ont des préférences pour le pourpre et pourraient donc être influencés de manière différente. On sait aussi que les papillons nocturnes comme certains Sphinx ne déploient leurs trompes que quand ils disposent à la fois de signaux visuels et olfactifs.

On a repéré deux substances actives parmi les oxoisophorones, qui agissent comme stimulant pour le butinage et incitent déploiement de la trompe : la 4-oxoisophorone et l’époxide oxoisophorone. Ces deux substances prises seules génèrent les mêmes effets que l’odeur naturelle globale. Elles sont donc bien les deux molécules clés pour le déclenchement de ces comportements. Pourtant, si on propose des mélanges d’autres terpènes et de composés aromatiques présents dans le parfum global, on obtient aussi les mêmes réponses ! Les composés aromatiques utilisés ici (benzaldéhyde, phénylacetaldéhyde et 2-phenyléthanol) sont par ailleurs connus pour déclencher des réponses alimentaires chez d’autres papillons.

L’époxide oxoisophorone n’était pas connue jusqu’ici pour ses propriétés attractives ; pourtant, ici, il déclenche des réactions fortes avec, notamment, des durées d’élongation de la trompe plus logues qu’avec la 4-oxoisophorone.

Cette dernière est bien connue comme attractant chez divers insectes (hyménoptères, diptères et lépidoptères dont les papillons de jour). On la retrouve chez diverses plantes pollinisées par des papillons dans des lignées végétales très différentes. On la retrouve aussi dans les organes androconiaux (sur les ailes) des monarques où elle doit jouer le rôle de phéromone.

Papillons de nuit

Une étude menée sur le campus universitaire de Washington montre que le Buddleia peut aussi être visité par des papillons de nuit. Lors de cette étude, 12 espèces de Noctuelles, 6 de Pyrales, 2 de Géomètres et 1 de tordeuses ont été collectées.

Deux espèces de noctuelles, considérées comme des bioagresseurs des cultures, dominaient largement : la plusie ni ou fausse-arpenteuse du chou (Trichoplusia ni) (présente en France) et l’autographe de la luzerne (Autographa californica), très proche de l’autographe gamma, très commun chez nous. Mâles et femelles ont été observés sur le buddleia. Trois ou quatre des composés odorants qui composent le parfum du buddleia (voir ci-dessus) ont été testés sur la plusie ni et l’autographe de la luzerne. Ils déclenchent des réactions physiologiques au niveau des antennes ce qui suggère que, là aussi, ces molécules odorantes doivent participer à la localisation des fleurs du Buddleia comme source de nectar.

Sphinx colibri

Finalement, on voit que l’attractivité élevée du Buddleia vis-à-vis des vanesses paon-du-jour est due surtout à des signaux olfactifs et eux seuls déclenchent le comportement de butinage en plus de l’incitation à s’approcher et à se poser. Le Buddleia dispose pour cela de deux molécules oxoisophorones qu’il émet en quantités plus élevées que les autres plantes étudiées. Ainsi s’explique son attractivité bien documentée pour les paons-du-jour. Reste à étudier si ce pouvoir attractif olfactif fonctionne avec les autres papillons de jour.

En tout cas, sa capacité à synthétiser en grandes quantités ces attractants, en sus d’autres traits physiologiques (croissance très forte, période juvénile brève, tolérance aux conditions environnementales), expliquerait sa vaste aire de répartition en Chine, son pays natal et son expansion mondiale suite à des introductions.

Malgré ces résultats d’études plus qu’éloquents, depuis une décennie, on voit circuler sur les réseaux sociaux des informations qualifiant le Buddleia de « toxique pour les butineurs » « sans nectar et détournant inutilement les butineurs » ou de « non attractif pour les papillons ». Qu’en est-il de ces assertions relayées ad libitum et jamais accompagnées d’études scientifiques publiées ? Si elles sont fausses, comment ont-elles émergé ? Zoom-nature va donc (bientôt) consacrer une seconde chronique à venir sur cette question : oui ou non l’arbre aux papillons est-il « nuisible » pour la faune locale des butineurs ?

Bibliographie

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