17/02 En hiver, la nature est en mode pause et vous trouvez que vos balades nature manquent un peu d’intérêt : pas grand-chose à dévorer des yeux ou à photographier !  Il y a pourtant un sujet extraordinairement riche en espèces, en couleurs et en formes extravagantes : les lichens. Ils sont partout ou presque : sur les arbres, au sol, sur les murs, sur les rochers et même sur les objets humains comme les panneaux ou les plastiques !

Il suffit de se munir d’une indispensable loupe compte-fils et un monde fabuleux n’attend plus que votre regard enchanté. Et ce d’autant plus que le temps est gris et pluvieux car ce sont les conditions qu’adorent les lichens pour arborer leurs plus beaux atours.

Ce samedi, justement, j’ai participé à une sortie lichens, organisée par l’ADNA (voir fin de chronique) en compagnie d’une douzaine d’étudiant(e)s. Françoise Peyrissat, naturaliste curieuse de tout, spécialisée en lichens (et aussi en orchidées) et animatrice d’un groupe local du programme de sciences participatives LichensGo sur Clermont-Ferrand, animait cette sortie. Cette chronique en est un compte rendu destiné aux étudiant(e)s qui y ont participé mais s’adresse à toute personne curieuse de ces êtres passionnants.

Vieux bocage

La balade se déroule près du lieu-dit Montrodeix au sud-ouest du village d’Orcines, tout près du pied du Puy-de-Dôme (1465m), à l’ouest de Clermont-Ferrand. Nous sommes à une altitude de 850m sur le plateau granitique des Dômes, parsemé des célèbres édifices volcaniques de la Chaîne des Puys. D’ailleurs, au point culminant de la balade, le Château de Montrodeix (915m), se trouve un superbe affleurement d’orgues basaltiques.

Nous parcourons un paysage bocager de haute qualité environnementale parsemé d’une multitude de vieux frênes moussus taillés en hautes trognes : des haies de grands arbres encadrent des prairies dédiées à l’élevage laitier et des boisements mixtes de hêtres, chênes, bouleaux et noisetiers s’insèrent dans cette trame dense. On croise notamment des troupeaux de moutons de la race locale « des volcans », la Rava.

La pluviosité assez élevée, vu la position à l’ouest des sommets de la chaîne et l’altitude moyenne qui correspond à la base de l’étage montagnard. Ce point est important car les lichens ont besoin d’une certaine humidité atmosphérique pour s’épanouir. La météo pluvieuse et très (beaucoup trop) douce des dernières semaines va nous offrir des lichens gorgés d’humidité, présentant ainsi leur plus bel aspect.

Nous avons déjà consacré trois chroniques générales sur le monde si particulier des lichens : les lichens ne sont pas des plantes …mais des champignons ; une symbiose hors normes : les lichens sont des « chimères » entre un champignon et une algue verte et/ou une cyanobactérie, associées en symbiose ; quand 1 + 1 = 10 : la capacité des lichens à survivre dans des conditions extrêmes grâce notamment à leur nature double et symbiotique.

Pour aborder l’immense diversité des lichens, on les classe en six groupes informels se référant à l’aspect général de leur appareil végétatif qu’on appelle un thalle. Ces groupes pratiques vont nous servir de fil conducteur pour présenter toutes les rencontres faites au cours de cette sortie.

Comme la majorité des lichens n’ont pas vraiment de noms communs vernaculaires (ou alors des noms très généraux prêtant à confusion), nous les nommerons par leur nom latin, gage de précision et de rigueur scientifique.

Fruticuleux

Commençons par les lichens fruticuleux : ce terme vient du latin frutex, arbrisseau. Ce sont les lichens « mini buissons ». Leur thalle se présente sous forme de lanières plates ou cylindriques, souvent ramifiées, au port étalé et dressé (ou pendant selon le support) : l’ensemble forme une seule touffe fixée au support en un point. Cinq espèces nous attendent, toutes sur des arbres.

Trois espèces très « branchues » de Ramalina (de ramus, branche) sont au rendez-vous. Sur les troncs et les branches des frênes (voir ci-dessus), pendent des grappes opulentes de larges lanières, un peu torsadées, blanc verdâtre : R. fraxinea. Elles portent des verrues en soucoupes : les organes reproducteurs du champignon ou apothécies (du grec apotheke : réserve ou entrepôt) qui produisent les spores. Elles sont fixées à l’écorce par un solide crampon. Cette belle espèce commune préfère l’écorce des frênes (d’où son épithète latin fraxinea, Fraxinus étant le nom de genre du frêne), des peupliers et des tilleuls dans des lieux ouverts et humides.

En sa compagnie, nous observons une autre espèce aux lanières très fines et très divisées au port élégant : R. farinacea. Ses thalles portent des « boutons » allongés le long des lanières : des organes de reproduction végétative ou soralies (voir P. sulcata ci-dessous). Cette espèce très commune tolère les zones à atmosphère polluée. Nous avons la chance de voir une troisième espèce avec quelques touffes courtes, raides, aux lanières creuses terminées au sommet par des apothécies en disques bien visibles : R. fastigiata.

Aux côtés des Ramalines pousse une espèce très commune : Evernia prunastri. Elle leur ressemble beaucoup avec ses lanières blanchâtres ramifiées mais elle a une particularité : les deux faces des lanières ne sont pas du même blanc. Elle colonise en masse les vieux prunelliers, et toutes sortes d’arbres dont les chênes et les conifères. Cette espèce était très récoltée dans certaines zones d’Auvergne (Margeride) sous le nom populaire de « mousse du chêne » : on en extrait des substances chimiques entrant dans la composition de parfums comme Terre d’Hermès ; mais, celles-ci seraient allergènes et donc déconseillées ?

La dernière espèce fruticuleuse est bien moins commune et témoigne d’une bonne qualité de l’air ambiant : Anaptychia ciliaris. Elle forme des touffes basses étalées aux lanières portant de longs cils sombres sur leurs marges (d’où l’épithète latin ciliaris). Comme elles sont bien humidifiées, elles prennent une belle teinte verte (due à son algue symbiotique) ; par temps sec, elles sont brunes, ternes et racornies. C’est une des difficultés avec les lichens : leur capacité à changer d’aspect et de couleur selon leur état d’humidification.

A noter qu’on peut facilement observer ces lichens dits corticoles (sur les écorces) à la faveur de branches cassées tombées au sol. Ils restent en vie (s’ils ont de la lumière) car ils ne dépendent pas de leur support. Occasion de tordre le cou à une légende tenace : les lichens ne sont pas du tout des parasites des arbres ! Ils se nourrissent de manière autonome grâce à la photosynthèse de leurs algues et cyanobactéries embarquées et ne prélèvent rien à l’arbre.

Foliacés

Les thalles foliacés font penser à des « feuilles » (ce ne sont pas des végétaux, rappelons-le !), plus ou moins lobées : ils sont appliqués sur leur support de manière assez lâche et assez faciles à détacher. Pour autant, évitons de les arracher : les lichens sont des êtres à croissance lente et qui vivent très longtemps contrairement aux « autres » champignons (non associés à des algues ou cyanobactéries) qui sont éphémères et persistent sous forme de mycélium. En le détachant, vous détruisez tout le lichen !

Un grand nombre de lichens foliacés étaient autrefois réunis sous l’appellation très générale de « parmélies » (parma : petit bouclier rond, à cause des apothécies). On distingue désormais de nombreux genres très distincts dont trois observés ici.

Des « rosettes » plaquées étalées sur l’écorce de chênes d’un gris bleuté aux lobes comme tronqués signent Parmelia sulcata. Un trait typique permet de l’identifier : la surface des lobes est parcourue d’un réseau de fissures blanches en relief donnant des « pustules farineuses » ou soralies. Ces structures sont des déchirures naturelles qui exposent la moelle du lichen et libèrent des amas granuleux qui peuvent redonner naissance à un lichen de manière asexuée (clonage). Espèce très commune.

Près du château d’eau au sommet du Puy, nous trouvons de grands thalles d’un gris bleuté, aux bords très lobés et ondulés : Parmelina tiliacea. Toute la partie centrale des thalles est ponctuée de noir, comme s’ils étaient « sales » ; ce sont là encore des organes de reproduction asexuée, en forme de mini-boules : des isidies. Contrairement aux soralies, elles ont une « écorce » : elles peuvent se détacher (sèches) et redonner ailleurs un nouveau lichen. Son nom latin tiliacea vient de Tilia, le nom de genre des tilleuls, une essence souvent colonisée ; mais elle s’installe sur divers feuillus soit en forêt soit sur des arbres isolés.

Les noms latins, souvent mal considérés par les non-initiés, peuvent comporter un ou des indices d’identification. C’est le cas de Pleurosticta acetabulum que nous croisons à plusieurs reprises : d’un brun vert très foncé, ce grand lichen foliacé commune fait penser à de petites salades avec ses grands lobes ; mais surtout il porte presque toujours de très grandes apothécies, brun foncé dedans, aux rebords relevés, difformes. Or, un acétabulum désignait dans l’Antiquité une petite tasse à vinaigre : très bon moyen de se souvenir de lui tout en enrichissant sa cuture générale !

Les deux derniers sont dans des tons jaune vif à orange très différents. Xanthoria parietina, la xanthorie des parois, est sans doute un des lichens les plus répandus et facile à identifier : thalle jaune orangé ; lobes bien développés, très plaqués ; couvert de nombreuses apothécies à disque orange foncé et rebord plus clair. Très tolérant, il colonise toutes sortes de supports et excelle sur les petites branches des arbustes. Xanthorie contient la racine xantho qui signifie jaune.

Le second, Rusavskia elegans a un aspect proche mais une teinte orange vif virant sur le rouge et ne forme que des petites plaques rondes sur des supports minéraux : ici, sur un muret artificiel. Ce n’est pas un hasard car il a besoin absolument de calcaire fourni par le ciment utilisé. En montagne, il est un spécialiste des rochers où se perchent les oiseaux qui y déposent leurs crottes : on le qualifie d’ornithocoprophile (ornitho : oiseau ; copro : excrément ; phile : qui aime).

Peltigères

Nous avons mis de côté trois autres lichens foliacés appartenant au même genre : Peltigera, les peltigères. Ce nom vient de peltiger, porteur d’un petit bouclier : allusion aux apothécies brunes allongées, en forme de cuillère, situées aux extrémités des larges lobes qui se redressent. Le dessous du thalle souvent étalé et grand, porte des appendices bien visibles, des rhizines, qui font penser à des racines mais n’en sont pas ; elles émergent d’un réseau de veines marquées et d’un feutrage dense qui tapisse toute la face inférieure. Les champignons de ces lichens sont soit associés à une algue verte et ont un thalle vert (humide), soit avec des cyanobactéries du genre Nostoc et alors un thalle brun à gris sombre. Elles vivent sur le sol ou la mousse au sol allant jusqu’à escalader la base des troncs un peu couchés.

Les trois espèces observées sont du second type. Sur des murettes anciennes couvertes de mousse, une superbe colonie de larges rosettes de P. praetextata : il faut regarder dessous pour voir les longues rhizines simples, pendantes, noires au milieu. Le nom latin curieux renvoie là aussi à un vêtement antique, la prétexte, la toge des enfants romains !

La peltigère des chiens (P. canina), rencontrée un peu plus loin sur un talus humide le long d’une haie de grands arbres, lui ressemble mais, dessous, elle a un feutrage blanc avec des rhizines pelucheuses formées de filaments. Son nom latin canina et populaire « des chiens » provient d’une croyance ancienne liée à la théorie des signatures : comme les apothécies dressées font penser à des dents de chien … avec beaucoup d’imagination), on disait qu’elle devait protéger de la rage !

Enfin, la troisième est une petite espèce : P. rufescens. Ses thalles ne dépassent pas 10cm de diamètre mais sont souvent nombreux. Elle vit comme ici sur un sol dénudés pierreux à sableux ; elle ne craint pas trop la sécheresse. Du coup, elle passe plus facilement inaperçue que ses deux grandes cousines. Elle porte des rhizines noirâtres ramifiées.

Crustacés

Non ce n’est pas une erreur ! On parle bien de crustacés, allusion à croûte, pour des lichens à thalles continus très plaqués et adhérents au support, souvent fendillés ou fissurés en surface. C’est le groupe le plus diversifié qui compte de très nombreuses espèces mais aussi le plus difficile à identifier. Françoise en a sélectionné trois assez typiques mais nous aurions pu en observer bien d’autres.

Sur les gros blocs des murettes de pierre, de superbes taches blanc pur attirent le regard et font penser à des marques de peinture ; la surface est très granuleuse : une espèce du genre Lepra. Noter la bordure noire qui le sépare d’autres thalles blancs différents (autre espèce !) : c’est ce qu’on appelle l’hypothalle, un débordement du feutrage de filaments mycéliens qui tapisse le dessous du thalle.

Sur le ciment d’un réservoir, des trainées jaune citron signalent un lichen crustacé dit lépreux car le thalle est formé de granules séparés (sous la loupe !) : Flavoplaca citrina. Le nom latin rappelle deux fois sa couleur : flavo, jaune et citrina ! Très commun, toujours en plein soleil, c’est le lichen des murs récents avec du ciment.

Sur les blocs des orgues basaltiques du Puy de Montrodeix, nous trouvons un lichen crustacé au joli nom évocateur : la carte géographique Rhizocarpon geographicum. Il est constitué de grains ronds ou aréoles jaune verdâtre posées sur l’hypothalle très noir ; les apothécies noires ne se voient qu’à la loupe. C’est le lichen classique des rochers siliceux en plein soleil et qui qui monte très haut en altitude. On le retrouve sur les pierres tombales des cimetières !

Cladonies

Les cladonies forment un groupe de lichens à part auxquels nous avons consacré une chronique entière. On qualifie leur thalle de « complexe ou composite » ce qui les place effectivement en dehors des autres groupes morphologiques. Elles ont deux thalles distincts : un thalle primaire collé au substrat sous forme d’écailles ou de « micro-feuilles » et sur lesquelles se développent des thalles secondaires dressés plus ou moins buissonnants, des podétions. Mais, contrairement aux lichens fruticuleux (voir ci-dessus), ces thalles secondaires sont individuels et ne partent pas d’un même point en buisson : c’est plutôt un tapis dense !

Sur un talus rocailleux et dénudé, là où nous observons la petite peltigère (voir ci-dessus), des touffes basses très touffues et ramifiées, brun grisâtres, lâchement posées, signent Cladonia rangiformis. Un critère décisif permet de l’identifier facilement : sous la loupe, on voit que les « tiges » ont un aspect « peau de girafe » : des taches vertes (par temps humide) sur un fond blanc cotonneux ; les algues symbiotiques sont réparties en taches. Le nom latin rangiformis vient de rangifer, le nom latin du renne et renvoie à la forme ramifiée comme les bois du renne. Plusieurs espèces proches d’aspect sont ainsi nommées « lichens des rennes » mais, contrairement à ce que l’on affirmait autrefois, elles ne sont pas toutes consommées par les rennes, certaines étant très toxiques (acides lichéniques).

D’autres cladonies ont un aspect radicalement différent avec des podétions en « trompettes » dressées. Nous en trouvons quelques colonies sur des talus. Leur identification au rang d’espèce est très complexe et demande le recours aux tests chimiques pour la plupart.

Gélatineux et Patrimonial !

Les lichens associés à des cyanobactéries partagent des caractères originaux : ils sont très sombres, souvent noirs ou brun foncé ; à l’état sec, ils deviennent recroquevillés, raides et cassants ; mais, à la moindre pluie conséquente, ils se regonflent comme des éponges (reviviscence), s’épaississent et deviennent mous et gélatineux ! On en trouve de toutes les formes : foliacés, crustacés, fruticuleux, …

Or, nous avons de la chance : il a plu et l’atmosphère est chargée d’humidité avec un plafond nuageux qui stagne dès 900m d’altitude.

Du coup, trois espèces sont au rendez-vous, toutes sur des arbres :

Leptogium saturninum :  foliacé noirâtre dessus et gris blanchâtre dessous ; assez commun aux étages montagnard et subalpin

Scytinium lichenoides : foliacé, brun foncé, tout plissé ridé avec des lobes déchiquetés ; il se cache au milieu des mousses ; un des gélatineux les plus communs mais pas facile à voir

Collema nigrescens : très curieux avec ses lobes charnus couverts de pustules ; il ne vit que dans des secteurs très humides.

Pour clore la sortie, Françoise nous emmène vers un lichen très spectaculaire et de taille imposante : Lobaria pulmonaria. Il fait partie des espèces les plus sensibles à la pollution atmosphérique et aux modifications de son habitat. Quelques dizaines de thalles occupent la base d’un tronc de vieux frêne têtard dans une haie : c’est l’unique station connue dans le secteur nous dit Françoise qui a pourtant longuement cherché autour ! Les lobes alvéolés rappellent l’aspect des poumons ce qui lui a valu autrefois, en vertu de la théorie des signatures, d’être utilisé comme remède contre les maladies pulmonaires.

J’étais venu à cette sortie pour améliorer mes connaissances très parcellaires en lichens mais j’y ai découvert une autre richesse inattendue : le groupe d’une douzaine d’étudiants de la faculté des Sciences de Clermont-Ferrand adhérents de l’ADNA : l’Association Des Naturalistes d’Auvergne a pour objet le partage des connaissances naturalistes, la promotion et la protection de la biodiversité.

J’ai été agréablement surpris par l’enthousiasme et l’attention de ces étudiants, très motivés. Quand j’ai demandé si cela leur apportait un plus dans leurs études, ils ont répondu plutôt négativement (cours très théoriques les deux premières années) mais ont ajouté « c’est avant tout pour notre cuture générale ». Voilà qui redonne le moral et l’espoir : la relève naturaliste est là ! Merci à eux-elles et à l’animatrice Françoise pour cet excellent moment !

Bibliographie

Site de l’Association Française de lichénologie

Site de Sciences Participatives LichensGO

Guides des lichens de France. C. Van Haluwyn et al. Ed. Belin. 2012

Guide des lichens. P. Tiévant. Ed. delachaux et niestlé. 2001.