Amelanchier ovalis

Amélanchier en fleurs dans les gorges d’Enval (Auvergne 63)

24/04/2022 En Auvergne où je vis, tôt au printemps, l’amélanchier illumine les austères parois des gorges rocheuses de sa floraison blanc neige très généreuse alors que son feuillage émerge à peine ; passé cet éphémère flamboiement, il devient très discret et se fond dans le décor au milieu des autres ligneux qui l’accompagnent. Au cœur de l’hiver, alors qu’il a perdu ses feuilles, il se rappelle de nouveau un peu à l’observateur par sa silhouette touffue singulière qui se détache au sommet des corniches et des vires les plus abruptes. De fait, il reste souvent inaccessible à moins que d’être un bon varappeur. Dans le midi où il fréquente les maquis et garrigues, on peut bien plus facilement l’approcher et profiter en été de ses petits fruits méconnus, les amélanches. 

Amélanchiers en hiver : gorges de la Sioule 03

Amélanchiers 

Peu de genres peuvent se targuer d’avoir un nom latin directement retranscrit du français ; tel est le cas d’Amelanchier (sans accent en latin !) repris du provençal ancien amélanquier (16ème siècle) et sa variante amélanchier, dérivé de amelanco, le nom du fruit (amélanche). 

Ce genre botanique n’a été créé que tardivement au 17ème siècle car on a longtemps classé les amélanchiers soit avec les sorbiers, soit avec les aubépines avec lesquels ils partagent effectivement de nombreux traits communs. L’amélanchier ovale présenté ici est la seule espèce du genre en Europe ; on en connaît une autre en Asie et plus d’une vingtaine en Amérique du Nord qui semble clairement être leur berceau originel. Parmi celles-ci figurent plusieurs espèces devenues familières chez nous comme arbres ornementaux avec principalement l’amélanchier de Lamarck qui peut atteindre 10 mètres de haut en culture. D’ailleurs, cette espèce commence à se naturaliser dans le nord de la France le long des rivières car elle a des exigences écologiques bien différentes de celles de notre amélanchier indigène. Il se distingue par son port souvent élevé de grand arbuste ou d’arbre véritable, ses feuilles à dents aiguës, les styles des fleurs soudés au moins à la base et ses fruits mûrs pourpre foncé et non noirâtres.

Le genre Amelanchier reste un sérieux casse-tête pour les botanistes systématiciens car la délimitation des espèces s’avère très complexe à cause de plusieurs traits biologiques : capacité d’apomixie (production de graines sans reproduction sexuée), multiplication du nombre de chromosomes (polyploïdie) et forte tendance à s’hybrider (en Amérique du nord où plusieurs espèces cohabitent). Ces originalités rendent très incertaine la délimitation des espèces ; ainsi l’amélanchier de Lamarck ne serait qu’une espèce hybride naturelle fixée ! 

Xérophile 

Sur des falaises métamorphiques

L’amélanchier, tout en étant commun dans ses stations, a une répartition souvent très disjointe en taches localisées du fait de ses exigences très précises. Il a besoin à la fois de chaleur (thermophile), de lumière (héliophile) et de sols secs à très secs (xérophile) sur des substrats rocheux à caillouteux avec des sols souvent squelettiques. Ces quatre conditions doivent donc être réunies pour qu’il s’installe et prospère : que son milieu vienne à se boiser (se « fermer ») et il disparaît même si quelques individus réussissent à persister à la faveur de mini-clairières.

Sur un pierrier dans la Vanoise

Fondamentalement, l’amélanchier est une espèce à affinités méditerranéennes et son optimum se trouve dans le bassin méditerranéen, Corse incluse, où il peuple les formations arbustives sèches (maquis et garrigues) et les bois clairs sur des sites rocheux le plus souvent calcaires. Hors du midi, il devient plus rare et surtout très localisé dans des sites favorables réunissant ses exigences. Il remonte ainsi jusque dans la vallée de la Seine vers le nord-ouest où il prospère sur les falaises de craie ou vers l’Est, les calcaires de Bourgogne, du Jura et les côtes de Lorraine et de Champagne. Il monte jusqu’à 1800m dans les Alpes du sud (plus sèches), les Pyrénées où il pénètre dans des forêts claires dont les mélézins ou les pinèdes sèches. Dans le Massif Central, il habite les versants rocheux et chauds des gorges et vallées étroites sur des roches granitiques ou métamorphiques ou les pitons volcaniques. 

Perché dans une falaise granitique en Auvergne

Blanc neige 

De loin, la floraison des amélanchiers dans les pentes rocheuses évoque irrésistiblement des plaques de neige parsemées dans ce décor alors que la végétation environnante commence à peine à débourrer ses feuilles. Chaque pied se couvre de fleurs sur toutes ses tiges pourtant nombreuses, offrant un volume fleuri considérable. De plus près, les fleurs frappent par leur couleur blanc laiteux et leur structure étoilée : cinq pétales étroits, en forme de spatule allongée, très écartés entre eux, laissent voir en dessous le calice vert couvert d’un revêtement laineux (tomentum) porté au bout d’un pédoncule tout aussi tomenteux et qui place les fleurs un peu au-dessus des feuilles en cours de déploiement. 

Globalement, la fleur évoque très fortement diverses autres rosacées de la même tribu : poiriers, aubépines, pommiers, aubépines, sorbiers, … Le calice forme une coupe (hypanthium) sur le rebord de laquelle s’insèrent les étamines nombreuses ; au centre, émergent cinq styles libres qui indiquent l’ovaire en-dessous, au fond de la coupe. Cette ressemblance explique aussi plusieurs de ses surnoms : poirier de rochers (pero corvino en italien) ou poirier sauvage ; néflier neigeux (snowy mespilus en anglais) ; mais les fruits (voir ci-dessous) participent aussi beaucoup à ces rapprochements.

Ces fleurs forment des bouquets fournis au bout des rameaux courts ou bien s’insèrent une par une sur des rameaux longs ; mais leur densité et le mélange avec les feuilles naissantes ne permet guère d’apprécier leur organisation en inflorescences contrairement à ce que l’on observe chez ses proches cousins américains très cultivés comme ornementaux (dont l’amélanchier de Lamarck). Dans le midi, la floraison commence dès mars mais plus au nord elle s’étale sur avril mai sachant que l’espèce monte jusqu’à 1800m. A peine la floraison terminée, le feuillage s’étant de son côté déployé, l’amélanchier s’éteint littéralement et se fond désormais dans son environnement.  

Grand arbrisseau

Même en hiver, sa silhouette accroche l’oeil

L’amélanchier ne dépasse guère deux mètres de haut et pousse naturellement sous forme d’un gros buisson aux multiples tiges très ramifiées dès la base ; il se situe donc à la frontière informelle entre les grands arbrisseaux et les petits arbustes (voir la chronique sur les arbustes). On le range parmi les nano à microphanérophytes, i.e. les végétaux ligneux inférieurs à 2m tout en ayant des bourgeons dormants au-dessus de 0,50m.

De loin, on le repère en hiver à son port irrégulier de tiges écartées en tous sens, raides avec des rameaux plus ou moins relevés. Les plus vieux individus qui peuvent dépasser les 50 ans ont des troncs pouvant atteindre le diamètre d’un poignet. Ce bois dur, à croissance très lente, a été utilisé autrefois pour la confection de cannes tandis que les rameaux terminaux ont servi à fabriquer des balais. L’écorce grise porte souvent des lichens incrustés blancs et quand elle est mouillée par la pluie elle prend une légère teinte rose. 

Très tôt au printemps, les bourgeons brun rougeâtre allongés et brillants, duveteux sur le bord des écailles, gonflent et se repèrent alors de loin au sommet des rameaux fins eux-mêmes tomenteux-blanchâtres. Les jeunes feuilles émergentes sont nettement teintées de rougeâtre sur les bords et très duveteuses dessous : ce tomentum dense constitue une protection contre la déshydratation en protégeant les stomates qui s’ouvrent sous les feuilles pour faire la photosynthèse. La nervure centrale rouge tranche sur ce fond blanchâtre au dos des jeunes feuilles. La forme des feuilles justifie bien l’épithète latin ovalis de son espèce : petites (2 à 4cm au plus), ovales et régulièrement dentelées sur le pourtour, elles affichent une belle couleur vert clair dessus une fois bien étalées au bout de leur long pétiole. Rapidement, le tomentum cotonneux du dessous tombe et les feuilles deviennent ainsi glabres. 

Jeunes feuilles en déploiement : noter le dessous très tomenteux

Même complètement feuillé, l’amélanchier laisse voir l’essentiel de sa ramure tant ses feuilles sont petites, un trait typique d’une espèce adaptée à la vie en milieu sec à très sec. Au toucher, les feuilles adultes ont de plus une consistance assez coriace, autre adaptation à la vie en milieu sec pour mieux résister aux risques de fanaison. Pour autant, en automne, elles virent vers une belle teinte cuivrée et finissent par tomber dans l’hiver. 

Mini-poires

Les fleurs fécondées donnent des « faux-fruits » (voir la chronique sur les fruits charnus des rosacées) qui extérieurement donnent l’illusion d’être des drupes du fait de leur petite taille : 5 à 10mm de diamètre comme un petit pois. Le calice persistant en étoile au sommet trahit leur vraie nature de « mini-poires ou petites sorbes ». D’un vert teinté de rose, elles virent rapidement au noir bleuâtre avec un revêtement pruineux, i.e. une fine couche cireuse qui s’efface quand on frotte avec un doigt. Chaque « fruit » contient cinq pépins allongés brun foncé. D’un goût sucré et d’une saveur douce, la pulpe est parfaitement comestible mais peu abondante si bien qu’on a plus de pépins en bouche qu’autre chose ! Des pépins ont été retrouvés dans des campements préhistoriques ce qui suggère que nos ancêtres ont dû les consommer d’autant que son habitat coïncide souvent avec falaises rocheuses riches en abris sous roches (voir la chronique La pierre est en nous). On l’a aussi cultivé depuis le Moyen-âge pour la confection de confitures réputées pour leur richesse en fer et en cuivre. L’espèce humaine a donc dû probablement participer un peu ainsi à la propagation de l’amélanchier à partir des campements et implantations humaines.

Mais dans la nature, ces fruits charnus attirent surtout les oiseaux frugivores : la petite taille des amélanches les rend accessibles à la plupart des gosiers, même des passereaux de petite taille comme les fauvettes. Mais divers mammifères carnivores en consomment volontiers du fait notamment de l’accessibilité de ces fruits sur ce mini-arbuste aux branches penchées souvent au milieu de rochers qui procurent autant de points d’accès. Ainsi en Espagne dans des environnements très secs, la fouine semble être un gros consommateur d’amélanches qu’elle est capable d’aller cueillir via ses talents de bonne grimpeuse. 

Dispersion 

Oiseaux et mammifères (dont les hommes préhistoriques par le passé) qui ont consommé ces fruits rejettent les pépins durs dans leurs excréments au hasard de leurs déplacements selon le processus de l’endozoochorie (voir la chronique). Ainsi, grâce à ces précieux alliés, l’amélanchier réussit à coloniser des milieux favorables souvent très dispersés dans l’espace surtout hors du bassin méditerranéen (voir ci-dessus) et peut se comporter en pionnier sur des sites rocheux dénudés à la suite par exemple de phénomènes érosifs ou de déboisements. Il « vole » de vire rocheuse en vire rocheuse ou d’une vallée chaude et sèche à une autre. On le retrouve même parfois perché au sommet de ruines de vieux châteaux à l’instar d’un autre arbrisseau à fruits charnus, le groseillier à maquereaux (voir la chronique). 

Cet amélanchier trône au sommet d’une haute tour en ruine (Aubrac)

En région méditerranéenne et même plus au nord, la maturité des fruits est atteinte dès la fin du printemps et maximale en début d’été. Or, une telle chronologie a de quoi surprendre de la part d’une espèce à fruits charnus : traditionnellement, en milieu méditerranéen, la majorité des espèces ont des fruits qui mûrissent en automne (septembre à novembre), période où déferlent des vagues considérables de passereaux migrateurs venus de toute l’Europe et qui descendent vers les zones d’hivernage en Afrique pour les uns ou dans le bassin méditerranéen pour les autres. En été, l’amélanchier ne peut compter que sur les espèces nidificatrices aux effectifs bien moins nombreux même après l’envol des jeunes. Peut-être que ces fruits ont néanmoins un attrait majoré en tant que pourvoyeurs de « liquide » en plein cœur de la saison estivale où l’eau manque souvent pour les oiseaux. D’autre part, on observe que les fruits mûrs persistent longtemps jusqu’en début d’automne ce qui permet sans doute de bénéficier de l’intervention des premiers migrateurs. 

Il se peut aussi que l’on sous-estime l’importance des mammifères carnivores qui, eux, sont sédentaires et dont les effectifs varient peu (voir l’exemple du merisier). Les études espagnoles montrent que le renard et surtout la martre consomment beaucoup d’amélanches (même si les mûres des ronces sont les fruits préférés) ; or, ces animaux de taille conséquente en récoltent forcément bien plus que de petits oiseaux tout en se déplaçant au sein de territoires étendus ce qui augmente les chances de dispersion. De plus, les analyses sur des pépins retrouvés dans des crottes de renard montrent que 70% des pépins d’amélanche restent viables après le transit digestif, malgré l’action des sucs digestifs puissants de ces animaux. 

Décalé 

Feuillage automnal prêt à tomber

L’amélanchier intrigue les botanistes spécialistes des arbres et arbustes méditerranéens. La majorité d’entre eux ont un feuillage sempervirent (arbousiers, filaires, laurier-tin, myrte, cistes, chênes vert et liège, …) qui conserve longtemps les nutriments, dont l’azote et le phosphore, captés pendant la saison de végétation. La période estivale avec une forte sécheresse constitue une contrainte considérable. Et pourtant, dans ce contexte, l’amélanchier lui se comporte en arbuste feuillu. Des chercheurs espagnols ont étudié son cycle annuel en le comparant avec celui des arbustes sempervirents et celui des arbustes tempérés. 

En été dans un lapiaz alpin

L’amélanchier se démarque nettement par un démarrage très précoce de l’éclosion des bourgeons dès mars, soit plus d’un mois et demi avant la date moyenne du débourrement des bourgeons des arbres et arbustes tempérés. L’essentiel de son développement a lieu au printemps avec la fructification dès la fin du printemps (voir ci-dessus), un trait inhabituel. Par contre, dès l’été, les feuilles commencent à sécher et à tomber ce qui réduit la couronne feuillée. Ainsi, l’amélanchier conserve peu longtemps les nutriments captés dans le sol au printemps et le carbone assimilé. Ce développement précoce et limité lui permet de supporter les sécheresses estivales mais cette capacité limitée à conserver ses gains réduit son aptitude à entrer en compétition avec les espèces sempervirentes. 

L’émergence accélérée du feuillage des rameaux courts en même temps que la floraison massive permet d’assurer l’essentiel avant l’été : ceci n’est possible qu’en puisant dans les réserves accumulées les années précédentes dans le bois et les racines. Le feuillage des rameaux longs sort un peu plus tard prenant le relais. En début d’été, alors que la sécheresse extérieure sévit, l’amélanchier utilise ses profondes racines pour aller puiser de l’eau encore présente dans les couches profondes, notamment en s’insinuant dans les fissures des rochers : ceci lui permet d’assurer quand même la maturation de ses fruits.

Finalement, l’amélanchier ne survit dans ces milieux méditerranéens qu’en contournant le problème de la sécheresse estivale via un cycle très court et rapide mais avec une conséquence négative sur sa capacité de compétition. Avec le réchauffement climatique, il risque donc de régresser face aux arbustes sempervirents des maquis et garrigues et va se réfugier de plus en plus en plus vers des sites très rocheux où son système racinaire lui permet de survivre. Cela dit, plus au nord, dans les milieux de gorges rocheuses, il se trouve confronté désormais aux mêmes contraintes mais bénéficie là d’une moindre compétition. 

Bibliographie 

Flore forestière. Tome III. 

Environmental Constraints on Phenology and Internal Nutrient Cycling in the Mediterranean Winter-Deciduous Shrub Amelanchier ovalis Medicus R. Milla et al. Plant Biol. 7 (2005): 182 ± 189

Feeding habits and overlap among red fox (Vulpes vulpes) and stone marten (Martes foina) in two Mediterranean mountain habitats J. M. PADIAL, E. AVILA, and J. M. GIL-SANCHEZ Mamm. biol. 67 ; 2002) 137-146 

Seed Dispersal Patterns by Large Frugivorous Mammals in a Degraded Mosaic Landscape Luis Matias, Regino Zamora Irene Mendoza, and Jose A. Hodar. 2008 Society for Ecological Restoration International