Macrothylacia rubi

15/08/2024 Pour un certain nombre de papillons nocturnes, on connaît souvent bien plus leurs chenilles que les adultes (imagos). Ceci s’explique par le fait que les papillons de nuit (Hétérocères) présentent souvent des teintes ternes dans les bruns ou les gris (il y a néanmoins de nombreuses exceptions !), qu’ils se ressemblent beaucoup entre les nombreuses espèces, alors que la majorité de leurs chenilles arborent des coloris très contrastés et des allures parfois étranges.

Outre la super médiatisée Processionnaire du pin, le bombyx de la ronce, sous sa forme papillon, le plus souvent inconnu du grand public et même des naturalistes amateurs (c’est mon cas : jamais vu !), est un exemple iconique de ce paradoxe : sa chenille ne passe pas inaperçue quand elle arpente les chemins. Impossible alors de la rater. Belle occasion d’observer son comportement défensif si particulier qui lui vaut ce surnom peu engageant.

Arpenteuse … des chemins

C’est à partir de la mi-août jusqu’en octobre avec un pic en septembre que l’on croise le plus souvent cette grosse chenille robuste qui peut atteindre 7 à 8cm de long qui marche d’un « pas » très pressé sur les chemins que nous empruntons. Elle semble en quête d’un but inaccessible qu’elle poursuit en vain tant elle avance vite et d’une allure très décidée.

Il existe quelques autres chenilles « arpenteuses des chemins » comme celles des écailles, grandes marcheuses elles aussi, mais la chenille du bombyx de la ronce est impossible à confondre. Très sombre, elle est entièrement recouverte d’une épaisse toison de soies : noires dressées sur le dessus ; roux orangé très belles dans la partie dorsale ; gris clair, un peu poivre et sel, sur les flancs. Quand elle avance, le déploiement de ses anneaux qui s’étirent alternativement révèle une étroite bande jaune doré qui tranche sur le fond sombre. La grosse tête noire porte une pilosité brunâtre plus rase et on a du mal à la distinguer quand elle est à l’arrêt.

Si on barre le passage ou si on la touche à peine avec une brindille, aussitôt elle réagit en s’enroulant sur elle-même en cercle fermé, offrant ainsi à l’intrus sa toison hérissée et protégeant son ventre à la cuticule plus tendre. Elle reste ainsi, figée, un certain temps avant de se redéployer et de repartir. Cette attitude défensive (voir ci-dessous sa signification) lui a valu ce surnom d’anneau du diable : la référence au Malin vient sans doute de son aspect très sombre, noir comme les ténèbres ?

Randonneuse

Ce comportement pressé et hyperactif intrigue. Que cherche-t-elle ? On pourrait croire qu’elle est à la recherche de nouvelles plantes nourricières mais en fait elle a l’embarras du choix vu son caractère très éclectique (voir ci-dessous). Elle est à la recherche d’un site favorable où trouver une cachette bien abritée pour passer l’hiver en état d’hibernation. Contrairement à de nombreuses autres espèces, elle ne se métamorphose pas en chrysalide à l’approche de l’hiver, cette dernière étant une forme plus résistante a priori.

Elle va donc se cacher dans la litière de feuilles mortes ou dans du sol très meuble, près de la surface et hiberner au stade chenille mature. Au tout début du printemps, elle se réveille, reprend un peu d’activité mais sans se nourrir : elle cherche à se chauffer le plus possible en s’exposant dans la végétation herbacée basse du moment. La chaleur doit lui permettre de se préparer à l’étape suivante qui ne tarde pas dès avril. Elle s’en retourne près du sol dans la végétation et, là, elle tisse un cocon de soie brun incluant les soies de sa peau et se transforme en chrysalide à l’intérieur. D’ailleurs, ce grand cocon a inspiré son nom de genre Macrothylacia qui signifie « grand sac ».

Son hivernage aura donc duré presque six mois d’octobre à mars. Cette particularité rend son élevage en captivité pour suivre son cycle très compliqué et la plupart des tentatives se soldent par un échec. J’en ai fait l’expérience quand j’étais enfant et que j’élevais des chenilles trouvées dans la nature pour voir quels papillons elles devenaient.

Urticante

La chenille telle que nous venons de la décrire en automne correspond en fait au stade ultime du développement en mues successives depuis l’éclosion.

Dans ses stades antérieurs, elle est sensiblement différente car elle n’acquiert sa toison remarquable qu’au dernier stade. Auparavant donc, à partir de fin juin, période des éclosions, la jeune chenille est plus noire avec déjà les espaces inter segments cerclé de jaune d’or et des bandes jaunes à oranges plus ou moins marquées. Sa pilosité est alors bien plus modeste et clairsemée.

Dans une étude, on a comparé les comportements de trois espèces de chenilles de la famille des Lasiocampidés : celle du bombyx de la ronce, de la laineuse du cerisier (chenilles grégaires vivant dans des toiles-tentes communes) et de la feuille-morte du peuplier très mimétique avec son environnement. Le suivi expérimental montre que les chenilles anneaux du diable ne se nourrissent que de nuit ; dès le début du déclin de l’obscurité totale, elles rejoignent une cachette parfois en se laissant carrément tomber au sol. Elles ne se nourrissent en moyenne que deux heures par nuit. Le reste du jour, elles restent cachées. Par opposition, les chenilles de la feuille-morte du peuplier, proche parente, sont actives de jour et de nuit.

Dans la nature, elles se cachent par exemple sous des pierres.  Ce comportement nocturne est typique des espèces qui cherchent à éviter les prédateurs chassant à vue de jour tels que les oiseaux : les chenilles constituent souvent les proies référées de nombreux insectivores pour nourrir leurs oisillons. Or, la chenille anneau-du-diable, au moins à son stade final, présente une coloration assez contrastée complétée par une toison dense de soies un peu urticantes, capables de provoquer des réactions allergiques chez des personnes sensibles. Mais, on est loin des chenilles ultra-urticantes de la processionnaire du pin. On pourrait donc penser que cette coloration serait un signal d’avertissement pour les prédateurs naïfs selon le principe de l’aposématisme. Cette étude tend donc à montrer qu’il n’en serait rien vu qu’elles mènent une vie cachée dans l’obscurité.

On notera néanmoins que la pilosité ne se développe vraiment qu’au dernier stade, celui où justement la grosse chenille circule de jour en plein à découvert à la recherche de son site d’hivernage.

Polyphage

Ces chenilles ont une autre particularité évoquée ci-dessus : leur très grand éclectisme dans le choix des plantes nourricières. On les qualifie de polyphages, c’est-à-dire capables de se nourrir sur de nombreuses espèces de plantes appartenant à des genres ou familles non apparentées.

Le nom vernaculaire de Bombyx de la ronce et l’épithète latin rubi (de Rubus, nom de genre des ronces et framboisiers) laissent croire qu’u contraire elle serait monophage. Il n’en est donc rien et la liste des plantes sur lesquelles ces chenilles ont pu être observées en train de nourrir est longue et comporte diverses plantes herbacées ou arbustives : des fabacées ou légumineuses (vesce des crapauds, trèfle des prés, trèfle moyen, genêt ailé…) ; des Rosacées : ronces et framboisiers, potentilles, pimprenelle, prunellier, reine de prés ; des hélianthèmes ; des Éricacées : callune fausse-bruyère et myrtille ; divers graminées ; des arbres au stade jeune et bas : bouleaux, saules, trembles, … ; le géranium des bois en altitude ; …

Cette grande variété de plantes hôtes permet à cette espèce d’occuper de nombreux milieux et de fait il s’agit d’une espèce très répandue. Elle est de loin l’espèce de grand bombyx (Lasiocampidés) la plus commune. On trouve les chenilles et les papillons dans toutes sortes de milieux ouverts herbacés à arbustifs, secs à humides, les plus divers : talus des chemins, pelouses sèches, prairies sèches ouvertes, landes à bruyère, lisières des bois, clairières forestières, jachères et friches, … Pour autant, cette espèce ne s’accommode pas non plus de tous les milieux : la végétation herbacée doit être relativement ouverte (besoin de recevoir les rayons du soleil) ni trop dense et haute ; donc, les prés enrichis en engrais ou amendements ne lui conviennent guère. D’ailleurs, même s’il reste assez commun, il tend à se raréfier dans les régions d’agriculture intensive notamment à cause de l’eutrophisation (enrichissement en nutriments) des milieux.

Bombyx renard

Les adultes émergent des chrysalides dans les cocons en mai. Ce sont des papillons de nuit du type « bombyx » au corps trapu très velu et aux ailes assez courtes. L’envergure varie de 36 à 70mm avec les femelles plus grandes que les mâles. La teinte générale reste très terne, dans les bruns gris. Chez les deux sexes, deux fines lignes jaunâtres traversent les ailes antérieures. Les mâles ont tendance à être d’une teinte brun rouge versus gris brunâtre chez les femelles ; c’est ce qui lui a valu le nom populaire anglo-saxon de Fox moth.

Les mâles aux antennes plumeuses sortent en premier et volent de jour lors des après-midis chauds et calmes. D’un vol très rapide, haché, incessant, ils battent la campagne à faible hauteur à la recherche des femelles fraîchement écloses au sol. Ils les localisent en vol grâce aux phéromones sexuelles émises par celles -ci captées par les antennes plumeuses déployées qui fonctionnement comme des radars chimiques. Les femelles quant à elles ne volent que de nuit, toujours activement cherchées par les mâles qui poursuivent leur activité de nuit aussi.

Cliché Jonesor ; C.C. 4.0

Dès juin, les femelles fécondées pondent rapidement les œufs sous forme de paquets irréguliers collés serrés sur des tiges basses de plantes herbacées (graminées le plus souvent). Relativement gros (2,5mm), ovales, d’un gris nacré avec un anneau brun sombre ils portent une tache sombre au sommet. Ils sont déposés de nuit en nombre relativement petit pour un papillon de nuit : 200 au plus par femelle ; ceci s’explique par leur relative grande taille qui garantit plus de réserves pour les embryons de chenilles et augmente les chances d’éclosion. Les œufs éclosent fin juin et le long développement des chenilles peut alors commencer (voir ci-dessus).

Lasiocampidés

Terminons ce tour d’horizon par un bref passage en revue de cette famille de gros papillons de nuit à laquelle le Bombyx de la ronce appartient.

Karl Eckstein Public domain

Cette famille compte plus de 2000 espèces dans le monde et regroupe des papillons de nuit de taille moyenne : les plus petits ont 2cm d’envergure et les plus grands jusqu’à … 15cm ! Ces papillons ne se nourrissent pas étant dépourvus de bouche fonctionnelle et ne vivent donc que quelques jours.

Les chenilles assez grandes sont typiquement velues ; le nom de famille vient de ce trait : lasio, laineux et campa, chenille. Cette toison les protège à la fois des prédateurs et aident à la thermorégulation. Souvent, ces poils durcis peuvent être urticants et servir de moyen de défense offensif, les chenilles d’espèces tropicales butant leur tête et corps contre la peau des agresseurs ! Comme chez le Bombyx de la ronce, le stade en diapause (hivernant chez nous) est celui de la chenille et pas les œufs ou les cocons comme la majorité des familles.

En France, on en recense trente espèces. Outre le Bombyx de la ronce, il y a une autre espèce très commune : le Bombyx du chêne ou Minime à bandes jaunes (Lasiocampa quercus) : les mâles, très différents des femelles unies et bien plus grandes, volent de jour à la recherche des femelles et se reconnaissent à leur livrée brun sombre avec deux larges bandes jaunes en travers des ailes. 

Mâle aux antennes plumeuses

Chez certaines, les chenilles sont grégaires et vient dans des toiles-tentes de soie blanche comme les Laineuses (Eriogaster). Plusieurs espèces portent le nom populaire de Bombyx : pour autant, ce nom s’applique aussi à d’autres espèces dans au moins une autre famille, celle des Bombycidés : on y trouve le célébrissime Bombyx du mûrier dont la chenille est connue sous le nom de Ver à soie. Enfin, deux genres (Gastropacha, Phyllodesma) portent le nom évocateur de Feuille-morte à cause du mimétisme de ces papillons au repos : leur posture et leur coloris évoquent un paquet de feuilles mortes !

A noter pour l’anecdote le nom vernaculaire surprenant d’une espèce endémique du Mercantour décrite en 2002 : le Bombyx de Coluche ! Je n’ai pas réussi à trouver l’origine du choix de ce nom : ce doit être à cause de la commune d’Opio où « un putain de camion » a renversé et tué l’artiste, située dans les Alpes-Maritimes, un des deux départements où se rencontre cette espèce très locale ? 

Bibliographie

Nota Lepid. 24 (3) : 87-99 Continuous long-term monitoring of daily foraging patterns in three species of lappet moth caterpillars (Lasiocampidae). C. Ruf et al.

Guide des papillons nocturnes de France. Ed. Delachaux et Niestlé 2007