Plantago media subsp. media

Avec le P. lancéolé, le P. majeur, le P. corne-de-cerf, le plantain moyen forme le groupe des plantains très communs à communs dans la majeure partie du pays. En dépit de son qualificatif de moyen, il se détache pourtant nettement par l’éclat et la beauté de sa floraison vaporeuse d’une rose léger.  En plus, les milieux qu’il occupe, du type pré sec, offre souvent des floraisons variées qui l’accompagnent de belle façon. Le seul point qui le rendrait « moyen » par rapport à ses trois compères, c’est son abondance nettement moindre liée à ses exigences écologiques plus étroites.

Rosettes  

Comme nous l’avons déjà rapporté dans la chronique sur le plantain majeur, le nom plantain (repris tel quel en anglais) remonte au tout début du 13ème siècle sous la forme plantein, issue du nom latin Plantago dérivé de planta, la plante du pied, par allusion à la forme des feuilles et tout particulièrement de celles du plantain majeur. Les deux autres cousins, le corne de cerf ou le lancéolé ne correspondent guère à cette appellation avec leurs feuilles très allongées et/ou découpées.

Par contre, le plantain moyen se rapproche bien de cette image avec ses feuilles toutes groupées en rosette basale : elliptiques à largement ovales, de 5 à 15cm de long, en forme de coin large vers la base, elles sont sub-entières (au plus quelques vagues dents à peine esquissées) et possèdent 5 à 9 nervures très marquées, caractère partagé avec le majeur et le lancéolé. C’est leur taille et leur forme intermédiaires entre celles du P. majeur et du P. lancéolé qui lui valent ce qualificatif, un tantinet dévalorisant, de moyen (media en latin). Pire, on l’a parfois qualifié de plantain bâtard ! Les feuilles sont distinctement pétiolées à presque sessiles (sans pétiole) mais ce pétiole reste court, large et souvent non nettement délimité du reste de la feuille (le limbe).

Cette image de la plante du pied renvoie aussi chez le majeur à l’idée de plante étalée sur le sol et résistant bien au piétinement. A cet égard, les rosettes du plantain moyen frappent par leur aspect très plaqué au sol, bien plus nettement que le lancéolé par exemple ; quand il pousse dans des milieux herbacés assez hauts, il les relève un peu pour s’adapter et on remarque alors qu’elles ont une extrémité un peu aiguë.

Elles différent nettement de celles du majeur par leur pilosité fine abondante de poils blanchâtres (feuilles pubescentes) sur les deux faces qui lui valent le qualificatif de hoary en anglais (blanc duveteux). La forme et ce toucher très doux expliquent le beau surnom de langue d’agneau (lamb’s tongue).

Chaque pied individuel possède une ou plusieurs rosettes qui se chevauchent alors. Elles s’ancrent sur une longue racine fuselée, brune, souvent ramifiée et qui s’enfonce de biais dans le sol et assure un solide ancrage.

Au final, de loin, même non fleuri, le plantain moyen s’identifie facilement à cette apparence blanchâtre et à ses rosettes larges très plaquées au sol.

La revanche du moyen

Plantain moyen avec P. lancéolé : moyen vraiment !

La floraison d’avril à août donne l’occasion au plantain moyen de démontrer de la plus belle des façons qu’il n’a rien de « moyen » et qu’il surpasse largement les autres plantains sur ce point.

Comme chez tous les plantains, les fleurs sont réduites mais nombreuses et très serrées en épis allongés cylindriques de 6 à 12cm de long à la floraison. Ils sont portés au bout de longues hampes florales qui ne sont pas des tiges mais des pédoncules d’inflorescences : ce plantain comme ses trois compères est dit acaule (sans tige).

Chaque hampe bien dressée dépasse nettement les feuilles étalées dont elle égale 4 à 5 fois la longueur. Ainsi, même dans des milieux herbacés, les fleurs se trouvent haut perchées et réussissent à émerger des herbes. Contrairement aux hampes du plantain lancéolé, elles ne sont pas sillonnées en long, au plus finement striées et couvertes de poils plaqués un peu frisés dans la partie supérieure. Avant même sa floraison, l’épi attire déjà le regard par son élégance raffinée avec sa teinte blanchâtre et ses bractées écailleuses sous-tendant chaque bouton floral qui dessinent un beau motif tressé.

La floraison révèle les fleurs individuelles très serrées d’autant que l’épi s’allonge alors jusqu’à atteindre 15 à 40cm au moment de la fructification qui suit. Chaque fleur, petite, se compose d’un calice avec des sépales d’à peine 2mm, verts à teintés de pourpre et aux bords durcis brunâtres et une corolle blanchâtre en tube très court surmontés de lobes ovales. Mais l’élément dominant de ses fleurs, ce sont les étamines qui assurent le spectacle : longues d’au moins 5mm, elles portent au bout de leurs minces filets rose (rarement blancs) les anthères, chargées de pollen, blanches ou rose carné. Le tout forme un nuage vaporeux teinté de rose ou de blanc du plus bel effet, et en plus légèrement odorant … sauf après une averse qui « couche » les étamines sur l’épi ! D’où son surnom de plantain blanc, en plus de la pubescence blanchâtre qui recouvre le feuillage.

Ce déploiement coloré des étamines signe une pollinisation entomophile contrairement aux plantains majeur et corne-de-cerf anémophiles (pollinisation par le vent). Le plantain lancéolé, lui, est intermédiaire avec des étamines aux anthères blanches bien déployées mais bien moins longues : c’est plutôt lui qui devrait être qualifié de moyen à cet égard ! Effectivement, ces épis très voyants attirent de nombreux insectes d’autant que les fleurs en sont faciles d’accès et ne demandent pas de compétence pointue pour accéder au pollen et au nectar. On peut y observer des coléoptères (méligèthes noirs, petits capricornes floricoles, cétoines, …), des diptères (mouches, syrphes en nombre, …) et des hyménoptères (abeilles solitaires, abeilles domestiques et bourdons très actifs pour collecter le pollen).

Les fleurs sont protogynes : elles mûrissent d’abord les organes femelles (ovaires ; styles rouges) avant les étamines (organes mâles) ; elles sont de plus auto-incompatibles : la fécondation croisée avec du pollen venant d’un autre pied est nécessaire pour obtenir des fruits.

Déficit de dispersion ?

Les fleurs fécondées donnent des fruits secs petits (3-4mm) : des capsules qui s’ouvrent en travers (comme un couvercle) ou pyxides (voir l’exemple de la jusquiame). Chacune renferme quatre graines (jusqu’à 6) brun sombre d’environ 3mm. Comme chez le plantain majeur, les graines possèdent un revêtement mucilagineux qui gonflé à l’humidité et les rend collantes ce qui peut faciliter leur dispersion par les pattes des animaux (ectozoochorie) ou les chaussures des humains ; mais comme elles tombent dans la litière dense de feuilles mortes du tapis herbacé, il y a peu de chances qu’elles soient prises en charge. Les épis fructifiés secs peuvent aussi être secoués par le vent ce qui projette les graines à faible distance ; elles n’ont pas de structures (ailes, aigrettes, …) aidant à leur dispersion.

En Suède, où l’espèce habite des prairies semi-naturelles très fragmentées dans l’espace, on confirme de nettes limitations dans la capacité de dispersion à moyenne distance de l’espèce, y compris le long des accotements des routes pourtant favorables. Une étude a suivi pendant 5 ans 22 stations permanentes dispersées dans la matrice paysagère agricole. Selon la taille initiale d’une population, le temps estimé avant que celle-ci ne s’éteigne est de de 60 ans avec 100 individus et de 200 ans avec 1000 individus. Le maillon faible semble être avant tout la germination donnant de nouveaux individus capables de repeupler ces colonies. Des expériences montrent qu’elle est améliorée si on ajoute des graines et créé artificiellement des ouvertures du couvert herbacé dense (perturbation). Ceci facilite autant la germination sans la compétition du couvert herbacé dense que la prise en charge de graines tombées au sol par le passage d’animaux.

Rosettes dupliquées et qui se chevauchent

Par contre, le plantain moyen dispose de bonnes capacités de multiplication végétative pour se maintenir à long terme une fois installé. Il peut refabriquer des rosettes depuis son appareil souterrain, notamment s’il est endommagé par du pâturage : d’ailleurs c’est une espèce apparemment appréciée du bétail !

Pelouses et prairies

Le plantain moyen est répandu dans toute la France mais devient rare en région méditerranéenne, voire absent dans les plaines trop sèches. Il fréquente des milieux sur des substrats avant tout calcaires, marneux ou volcaniques (basaltiques) : ceci explique sa rareté ou absence des grands massifs granitiques comme dans le Massif central ou la Bretagne (sauf sur le littoral). En montagne, il monte jusqu’à 2200m.

Sa relative rareté, comparativement à l’abondance des trois autres espèces mentionnées ci-dessus, tient à ses exigences écologiques plus étroites et le fait qu’il fuit les milieux trop enrichis qui tendent à s’étendre de plus en plus avec l’emprise humaine sur les paysages. Il lui faut à la fois : de la lumière (héliophile), donc des milieux ouverts et pas trop denses en grandes herbes ; des sols basiques à neutres ou très faiblement acides ce qui l’exclut des sols granitiques en général ; des sols secs à moyennement humides (espèce mésophile à xérophile), chargés en argiles qui retiennent de l’eau mais se dessèchent en été ; une charge en nutriments moyenne à faible : il n’a rien d’une rudérale gourmande comme les trois autres !

Il trouve donc ces conditions réunies dans divers milieux herbacés bas : pelouses et prairies dites maigres (reconnaissables à leurs floraisons multiples) ; friches vivaces non colonisées par des ligneux ; talus, bermes et accotements non enrichis par les cultures avoisinantes (ça devient rare !) ; pelouses littorales ou alluvions des grandes rivières avec des apports de calcaire ; … il prospère dans les prairies alpines sur les versants chauds et secs en peuplements parfois importants au point de dominer. En Grande-Bretagne, il est connu pour apprécier les pelouses des cimetières de campagne, gérées là-bas sur un mode moins destructeur et chimique que chez nous !

Des études expérimentales comparatives avec les autres plantains montrent qu’en cas d’enrichissement nutritif du milieu, le plantain moyen investit alors surtout dans la production de graines (mais il faudra qu’elles soient effectivement dispersées !) et peu dans la production de nouvelles rosettes et le développement de sa souche basale. Le plantain lancéolé par contre se développe végétativement et réussit ainsi à s’imposer et surmonter la compétition des grandes herbes.

On a aussi comparé l’impact du piétinement, souvent un élément clé dans les milieux habités que ce soit des pâturages (par le bétail) ou des pelouses fréquentées (piétinement humain). Les graines réussissent à germer sur des sols compactés mais en présence de grandes herbes vivaces dominantes, l’espèce régresse.

Multiple

L’aire de répartition couvre une bonne partie de l’Europe et de l’Asie occidentale tempérées. Rien qu’en Europe, on ne distingue pas moins de quatre sous-espèces : outre la sous-espèce type (subsp. media), il y en a trois autres, une en Italie du sud, une en Grèce et la troisième en Europe orientale. On signale aussi une variante dans les Hautes-Alpes avec un épi court, un pédoncule grêle et des bractées vertes égalant les calices.

Mais la diversité s’exprime au-delà puisque, sur toute son aire, il existe deux types de populations quant à leur garniture chromosomique : des diploïdes classiques (17 paires de chromosomes) et des tétraploïdes (17 paires doubles). Cette capacité à doubler spontanément le nombre de chromosomes (autopolyploïdie, sans hybridation) est répandue chez les plantains en général. Ces individus des deux types sont quasiment indiscernables morphologiquement mais, par contre, ils diffèrent par le nombre d’ovules par capsule et la longueur de la hampe florale par exemple. Les tétraploïdes ont des grains de pollen plus petits et des hampes plus hautes ce qui favorise a priori la pollinisation par le vent en complément de celle par les insectes. Les graines obtenues ont par contre la même taille. Les diploïdes, à l’échelle européenne sont répartis en petites populations fragmentées alors que les tétraploïdes sont plus communs et répartis partout. Il semble que la tétraploïdie ait émergé au moins trois fois à partir de diploïdes de manière indépendante. La reconquête de l’Europe après la dernière grande glaciation Pléistocène s’est accompagnée de cette diversification.

A noter que comme chez les autres plantains, on observe de temps en temps des formes monstrueuses (lusus) dont une surnommée « rose-plantain » où les bractées de la base de l’épi (feuilles modifiées), normalement toutes petites et écailleuses, se développent en vraies feuilles formant une rosette foliée à la base de l’épi. Personnellement, je l’ai vue sur des lancéolés mais jamais sur des moyens : normal vu sa plus grande rareté qui diminue la chance d’en rencontrer !

Médicinale

Si le plantain majeur est réputé comme médicinale notamment contre les piqûres d’insectes, le plantain moyen n’est pas en reste et renferme les mêmes types de substances actives, légèrement différentes : des iridoïdes dont l’aucubine et des melittosides ; ces substances sont toxiques et ont un rôle anti-herbivores (voir le cas de la mélitée du plantain dont les chenilles consomment les plantains).

Autrefois, il avait souvent plus la cote que le lancéolé pour son parfum (croyance que ceci le rendrait plus actif !), pour ses feuilles qui noircissent moins en séchant et le fait qu’il vive dans des milieux plus naturels, moins exposés aux pollutions humaines. En Provence, P. Lieutaghi signalait son usage comme vulnéraire contre la toux mais aussi pour soigner les troubles de l’estomac, les maladies du foie, l’apparition de glandes et les migraines d’origine nerveuse. La richesse du feuillage en tanins en fait aussi un bon astringent (« qui resserre les tissus ») : on l’utilisait contre les rages de dents, sur les blessures ou piqûres en appliquant des feuilles broyées ou sous forme de collyre ophtalmique.

Il paraît que les jeunes feuilles se mangent en salade : mais vu la rareté relative, cette consommation serait à éviter pour la survie de l’espèce.

Bibliographie

Population dynamics of the perennial Plantago media in semi-natural grassland   Åsa Eriksson ; Ove Eriksson  Journal of Vegetation Science  Volume 11, Issue 2, pages 245–252, 2000

Fitness of resprouters versus seeders in relation to nutrient availability in two Plantago species. Vit Latzel, Jitka Klimesova. Acta Oecologica 35 (2009) 541–547

Effects of trampling and soil compaction on the occurrence of some Plantago species in coastal sand dunes II. Trampling and seedling establishment C. W. P. M. BLOM Œcologia Plantarian, tome 12. n° 4 — 1977

Chloroplast DNA phylogeography and cytotype geography in autopolyploid Plantago media P. VAN DIJK and T. BAKX-SCHOTMAN Molecular Ecology 1997, 6, 345–352