15/09/2024 Récemment, j’ai décidé de me « remettre » aux araignées, c’est-à-dire d’une part plus prendre le temps de les observer et de les chercher et d’autre part approfondir mes connaissances générales sur ce groupe. Et en me plongeant dans l’ouvrage de référence Biology of Spiders, j’ai pris conscience de ma forte méconnaissance de la morphologie générale des Araignées, de sa diversité selon les familles et genres et des étonnantes structures qui leur sont uniques. D’où cette chronique en forme de visite guidée d’une araignée mais uniquement ce que l’on voit de l’extérieur. Nous prendrons souvent comme point de repère et de comparaison les insectes, avec lesquels les araignées sont souvent confondues. Voyons donc ce qui rend les Araignées (Aranéides) si différentes des autres Arthropodes.

NB Les termes techniques permettant de décrire les araignées sont en gras.

2/3 et 8/6

Premier point de divergence majeure avec les insectes : alors que leur corps partagé en trois parties (tête, thorax et abdomen), celui des Araignées n’en compte que deux : une partie antérieure d’un seul bloc, le prosome (pro = en avant ; soma = corps) ou céphalothorax et une partie postérieure, l’opisthosome (opistho = derrière) ou abdomen. Comme le nom synonyme de céphalothorax le suggère, le prosome regroupe en fait la tête et le thorax, unis en un seul bloc. Prosome et opisthosome sont reliés par un étroit pédoncule, le pédicelle ; mais il ne constitue pas une troisième partie en soi.

Le prosome est le plus souvent durci, surtout le dessus, alors que l’opisthosome, en forme de sac est mou et peu sclérifié. Contrairement aux Insectes, l’opisthosome ou abdomen n’est pas segmenté en « anneaux » mais d’un seul bloc … à l’exception d’un groupe d’Araignées présentes en Asie, les Mésothèles, qui ont un abdomen avec des traces de segmentation : elles représentent la lignée la plus ancestrale des Aranéides.

Les fonctions vitales de l’araignée se répartissent entre ces deux grands ensembles. Le prosome sert à la locomotion (via l’insertion des pattes), à l’alimentation (bouche et chélicères : voir ci-dessous) et concentre l’essentiel du système nerveux central ; s’y ajoute pour les seuls mâles une part de la reproduction : voir les pédipalpes ci-dessous. L’opisthosome renferme les organes qui assurent les fonctions de digestion, circulation, respiration, excrétion, reproduction (organes et orifices génitaux) et, trait original des araignées, de production de soie.

4 paires de pattes et corps en 2 parties

Sur le prosome viennent s’insérer six paires d’appendices articulés dont deux propres aux Araignées (par rapport aux Insectes :

  • Deux paires d’appendices autour de la bouche : les chélicères en deux pièces articulées servant à mordre et injecter du venin et les pédipalpes, sortes de mini-pattes, juste en avant de la première pire de pattes locomotrices ; ils seront détaillés dans la suite, notamment pour leur rôle étonnant chez les mâles
  • Quatre paires de pattes locomotrices : soit un 8 contre 6 en faveur des araignées au niveau du nombre de pattes.

Prosome

Zone souple (claire) entre carapace dorsale et sternum ventral

La moitié antérieure du corps comporte deux plaques durcies réunies sur les côtés par une zone de peau plus souple (pleure) : une dorsale en bouclier, la carapace, et une ventrale, le sternum. Les études embryologiques suggèrent que le prosome correspond à la fusion de six segments.

Sur presque toutes les araignées, on note sur la carapace une ligne marquée qui correspond en interne à une crête dure sur laquelle s’insèrent les puissants muscles de l’estomac utilisés pour aspirer la nourriture. La tête ne se dégage pas vraiment, vaguement encadrée par deux sillons divergents. On la repère bien mieux en fait aux yeux qu’elle porte : la majorité des araignées en ont huit disposés en deux rangées (antérieure et postérieure) dont la forme, la disposition l’une par rapport à l’autre, servent de caractère diagnostique pour différencier les différentes familles.

Ainsi, la famille des araignées sauteuses ou Salticidés se démarque par sa rangée antérieure avec de très gros yeux, les médians étant les plus développés : ceci donne à ces petites araignées un look sans égal ! Seules quelques familles ne possèdent que six yeux dont les Dysdéridés, des araignées aux puissants chélicères et dont certaines sont spécialisées dans la chasse aux cloportes. 

Le sternum ventral correspond à la fusion de quatre des six segments du prosome. Sur tout le pourtour, viennent s’articuler les quatre paires de pattes. En avant, il porte une petite plaque, le labium, rattachée et articulée avec lui via une membrane.

Ces parties durcies, tout comme les pattes, nous rappellent que les Araignées font partie des Arthropodes : elles ont un exosquelette constitué d’un matériau durci, la cuticule. Elle ressemble beaucoup à celle des insectes et se compose comme chez eux de plusieurs couches ; elle renferme divers pigments colorés (couleurs chimiques) ou ses microstructures diffractent la lumière, donnant des couleurs « physiques » souvent irisées.

La présence de cette cuticule rigide, comme chez les autres arthropodes, impose aux araignées une croissance par mues. L’abdomen, à cuticule molle, peut s’agrandir directement ; par contre, le prosome et les pattes enveloppés de cuticule rigide ne peuvent s’agrandir qu’à l’occasion d’une mue, pendant la brève période où la nouvelle cuticule formée reste encore souple.

Quand une araignée est prête à muer, que ce soit à un stade juvénile pu plus tard, le pédicelle devient bien visible entre prosome et abdomen qui « s’écarte » du prosome. L’araignée se suspend alors à un fil spécial dit fil de mue. La mue s’effectue en trois temps : le soulèvement de la carapace, la libération de l’abdomen et enfin l’extraction des extrémités (jusqu’au bout des pattes). Des mouvements de gonflement de l’abdomen et du prosome assurent ce déchirement de l’ancienne enveloppe. On retrouve souvent ces exuvies (enveloppe vide) transparentes suspendues et très fragiles.

Chélicères

Ces deux appendices spécifiques se trouvent en avant du prosome ; au stade embryonnaire, ils apparaissent près de la bouche, plus bas, mais migrent ensuite vers l’avant, à la manière des antennes chez les autres arthropodes.

Chaque chélicère (nom féminin ; de khele, pince et keras, corne) se compose de deux pièces : une basale large et trapue et un crochet articulé mobile. Le bord interne du crochet est finement denticulé et servirait à couper les fils de soie. Au repos, le crochet est rabattu dans une gouttière du segment basal à la manière d’une lame d’opinel.

Quand l’araignée mord (elle ne pique pas !), le crochet pivote via son articulation avec la pièce basale et s’enfonce dans la proie. En même temps, du venin, issu d’une glande située en dessous de la pièce basale, est injecté via une minuscule ouverture située juste en arrière de la pointe. Cette position, que l’on retrouve dans les aiguilles chirurgicales, rend le crochet plus résistant et évite que le canal ne se bouche. Le venin a une double fonction : paralyser rapidement la proie pour éviter sa fuite ou d’être blessée et la tuer secondairement. Rappelons que sur plus de 40000 espèces connues, seules 200 sont potentiellement dangereuses pour les Humains et seuls quatre genres (dont Latrodectus, les célèbres veuves) peuvent infliger des morsures mortelles.

Souvent, les deux côtés de la gouttière basale où vient se ranger le crochet portent chacun une rangée de dents cuticulaires dures. Elles aident les araignées qui en sont dotées à triturer leur proie en une masse informe. Les Thomises, par exemple, qui en sont dépourvues ne peuvent aspirer le contenu de leurs victimes que via deux petits trous percés.

Les chélicères servent donc à maîtriser la proie avec l’aide du venin injecté mais aussi à se défendre ou à saisir des choses : on les compare souvent à des mains pour les araignées. Certaines s’en servent pour creuser des terriers, transporter les cocons pleins d’œufs, s’agripper entre sexes lors de l’accouplement (cas des Tétragnathidés), voire à émettre des stridulations sonores (certaines Lyniphiidés). Tout ceci indique le côté versatile, « couteau suisse », des chélicères.

On distingue deux grands types de disposition des chélicères : soit dans l’alignement du corps, en parallèle l’un de l’autre (orthognathe ; cas des mygales par exemple) ; soit perpendiculaire au prosome et les deux crochets se faisant face (labidognathe). Ces derniers, du fait de leur capacité à s’écarter, permettent de maîtriser des proies plus grosses.

Souvent, les mâles ont des chélicères plus grosses que celles des femelles comme chez la saltique Myrmarachne (genre qui imite les fourmis) où les chélicères du mâle sont cinq fois plus fois plus grandes ; mais, comme ces crochets sont dépourvus de canal à venin, les mâles doivent embrocher leurs proies au bout de leurs longues chélicères !

Myrmarachne mâle

Pédipalpes

Cette seconde paire d’appendices proches de la bouche ressemble à une petite paire de pattes mais avec un segment en moins (métatarse ; voir les pattes). Pour autant, les pédipalpes, comme leur nom l’indique bien, n’interviennent pas dans la locomotion mais servent lors de la capture des proies : ils touchent et manipulent celle-ci pour la préparer.

La première pièce basale des pédipalpes (coxa = hanche en latin) est par ailleurs modifiée en une pièce élargie latéralement qui intervient dans l’alimentation : le maxillae ou endites. Son bord antérieur denticulé (serrula) sert de scie lors du traitement de la proie. Des franges de poils agissent comme un filtre quand l’araignée aspire sa nourriture liquéfiée.

La bouche est encadrée par ces deux maxillae à la base des pédipalpes et par deux plaques : le labium (voir ci-dessus) en-dessous et le rostrum au-dessus. Elle débouche dans le pharynx aplati, lui-même articulé et tapissé de plaques dures de cuticule, denticulées : l’ensemble fonctionne comme un microfiltre quand le pharynx assure sa fonction de pompe aspirante. En effet, les araignées ne « mangent » pas directement leurs proies mais déversent dessus, outre le venin paralysant, un fluide chargé d’enzymes digestives qui va liquéfier la proie de l’intérieur. Celles qui ont des chélicères dentées mastiquent au préalable la proie pour en faire une bouillie plus facile à aspirer. Donc, au moment de l’aspiration du liquide résultant, le filtrage s’avère capital : d’abord par les nombreuses soies qui encadrent la bouche, puis, donc, via le revêtement interne du pharynx. Seules des particules de moins d’un micromètre peuvent passer à travers ce filtre sophistiqué ! L’araignée nettoie régulièrement ces filtres en faisant remonter du liquide digestif.

Chez les araignées mâles, ces pédipalpes connaissent une transformation remarquable : ils deviennent des outils d’accouplement et servent aussi comme signal de communication. Plus ou moins complexe selon les groupes d’araignées, le tarse du pédipalpe (segment terminal) est profondément transformé en organe copulateur : il comporte un bulbe copulateur fait de pièces durcies et molles avec des protusions (apophyses), d’une extraordinaire complexité architecturale. Avant de s’accoupler, le mâle va prélever des gouttes de sperme dans son orifice génital ventral à la manière d’une pipette et le stocke dans un conduit interne.

Ce bulbe s’adapte étroitement à l’orifice génital de la femelle, lui-même complexe et se verrouille littéralement pour assurer le transfert du sperme ! Ceci suppose que le mâle se positionne de manière très spécifique pour pouvoir adapter ses pièces génitales : c’et pourquoi, souvent, l’accouplement est précédé d’une longue phase d’approche et de positionnement … sans oublier la menace quasi permanente de se faire tuer par sa partenaire si elle ne consent plus ! Un tel dispositif limite a priori considérablement les possibilités d’hybridation compte tenu de sa précision extrême.

Pattes locomotrices

Les quatre paires de pattes viennent s’articuler en cercle à la jonction souple de la carapace et du sternum (pleure ; voir ci-dessus). Chacune d’elles se compose de sept segments successifs ; soit dans l’ordre, en partant de la hanche (coxa) : trochanter, fémur (le plus long en général), patella, tibia et tarse terminal. En général, les deux premières paires sont les plus longues (mais variations selon les familles et genres) et la première est souvent utilisée pour « tâter » le terrain, comme de grands palpes.

L’extrémité du tarse porte deux griffes courbées généralement denticulées sur leur bord antérieur en forme de peigne ; elles peuvent être levées ou abaissées. Mais, un certain nombre d’araignées dont les orbitèles et les Théridiidés en possèdent trois par patte avec donc une griffe médiane supplémentaire. Cette griffe en plus joue un rôle capital pour les araignées qui tissent une toile de chasse : elles s’en servent comme d’une pince pour tenir les fils de soie grâce à sa forme en crochet. Le fil ainsi accroché est pressé contre deux soies denticulées opposées à la griffe : il s’accroche dans ces encoches et se trouve ainsi maintenu. L’élasticité du fil finit par soulever le crochet et le libérer.

Beaucoup d’araignées dites errantes, qui chassent à vue sans tisser de toile de chasse, sont équipées de touffes très denses de poils sur leurs pattes : les scopulae (de scopa, balai ; voir C. scoparius, le genêt à balais !) ; certaines se trouvent juste sous les griffes : les touffes des griffes.

Les araignées équipées de telles touffes denses peuvent facilement marcher sur des surfaces verticales lisses et mêmes des vitres et ce, avec une aisance et une adhérence qui laissent pantois ! La surface ventrale de chacun des poils réunis dans une scopulae s’éclate en milliers de fines extensions cuticulaires ce qui donne l’apparence (au microscope fort grossissement !) d’un balai. Chaque scopulae se sépare en près de mille terminaisons. Ainsi, un thomise qui n’a que trente scopulae par tarse bénéficie en fait de 160 000 points de contact. Ceux-ci fournissent à l’araignée une adhésion physique via des forces capillaires émanant d’un film d’eau en surface. En absence d’une fine pellicule d’eau, l’araignée glisse et tombe. Ce dispositif leur ouvre l’accès à des endroits autrement inaccessibles : dessous de feuilles d’arbres, rochers en surplomb.

Enfin, les pattes peuvent porter divers récepteurs sensoriels sous forme de poils sensibles ou sensilles. Parmi elles figurent les trichobothries (tricho = poil ; bothrion = cavité) : des poils très fins orientés à angle droit par rapport aux segments et servant de récepteurs du « toucher à distance » qui réagissent aux courants d’air ou aux vibrations. D’autres sont des chémorécepteurs permettant de tester la qualité chimique d’un substrat.

Abdomen et filières

Sur la face ventrale, par transparence, on peut souvent distinguer, sous la peau dénudée sans poils, deux masses brunes : deux poumons feuilletés ; ils ne sont qu’une partie de l’appareil respiratoire complété en interne par un réseau de trachées tubulaires (comme les insectes). En avant des filières au bout de l’abdomen (voir la suite) s’ouvre un orifice respiratoire : le spiracle.

En avant des poumons, chez les femelles, s’ouvre l’orifice génital, siège de l’accouplement avec le pédipalpe du mâle (voir ci-dessus) : l’épigyne. Lui aussi possède une architecture très complexe et très spécifique comme nous l’avons vu pour les mâles.

A l’extrémité de l’abdomen, on trouve trois paires d’excroissances, les filières qui servent à fabriquer les différentes soies (nous consacrerons une chronique entière à la-les soie(s)). Elles sont reliées à des glandes séricigènes internes. Ces filières correspondent à des appendices articulés originels très transformés. Chacun d’eux se termine par des embouts ou fusules très fins par où la soie est extrudée.  Ils sont dotés d’une musculature interne qui leur permet d’être très mobiles ; ils peuvent bouger indépendamment ou au contraire travaillent de concert. Des mouvements de l’abdomen complètent leur mobilité.

Les araignées femelles du groupe des Cribellates possèdent un organe supplémentaire : le cribellum (de cribrum = crible), situé en avant des filières. Cette plaque est criblée de fusules microscopiques produisant une soie particulière dite cribellée. A sa sortie, celle-ci est peignée par une rangée de poils raides en forme de peigne située sur le métatarse des pattes de la paire n°4 : le calamistrum. Cette soie est cotonneuse et adhère comme du velcro : elle peut ainsi servir de soie de capture sans avoir à ajouter de goutte adhésive.

A l’issue de ce parcours de découverte « externe » des araignées, on aura saisi leur extrême originalité et combien elles étaient profondément différentes des insectes. Ceci correspond, historiquement, à une divergence évolutive majeure qui a séparé très tôt dans l’histoire du Vivant le grand groupe des Chélicérates regroupant Araignées, Opilions, Acariens, Scorpions et alliés de celui des Mandibulates avec Myriapodes, Crustacés et Insectes. Globalement, les araignées sont un groupe dont l’émergence est bien plus ancienne que celle des insectes et leur cheminement évolutif s’est fait indépendamment de celui des insectes.

Bibliographie

Biology of spiders. Third Edition. Rainer F. Foelix. Oxford University Press.  2011. Le livre de référence sur la biologie des araignées.